Omar Hasan a disputé trois Coupes du monde de rugby avec les Argentins. Depuis sa retraite, en 2008, il s’est lancé dans une carrière de chanteur d’art lyrique et de tango à Toulouse.
Dans la catégorie « reconversion originale » de sportif, ce rugbyman remporte haut la main la Victoire. De la musique, s’entend. Les amoureux de l’Ovalie connaissaient Omar Hasan, pilier droit des Pumas argentins aux 64 sélections, qui participa à trois Coupes du monde (1999, 2003, 2007). Les mélomanes du Sud-Ouest ont progressivement découvert le même homme comme un baryton dont la voix vogue d’un répertoire à l’autre, de l’art lyrique au tango de son enfance. Après qu’il eut définitivement troqué casque, maillot, short, chaussettes et crampons contre un costume de concert.
Omar Hasan n’est certes pas le premier athlète à se risquer au chant, le premier exemple venant à l’esprit étant celui de Yannick Noah, qui a connu un énorme succès commercial. Pousser la chansonnette fut même presque un passage obligé – et désobligeant pour les oreilles des auditeurs – chez les footballeurs, qu’il s’agisse de Joël Bats, Basile Boli avec Chris Waddle, Youri Djorkaeff ou Jean-Pierre François, interprète du tube Je te survivrai. Mais tous se sont inscrits dans le registre de la variété, qui tolère toutes les insuffisances vocales et peut les corriger grâce à la technologie. Aucun ne s’est mesuré à l’épreuve de la scène, pour chanter Purcell (King Arthur) et Ravel (L’Enfant et les sortilèges), Rameau (Platée) et Offenbach (La Belle Hélène), Carlos Gardel et Astor Piazzolla. Là, le subterfuge est impossible et la sanction immédiate.
Dans son pavillon toulousain, où il a reconstitué un intérieur argentin – on y boit le maté entouré d’images de gauchos et de danseurs de tango –, Omar Hasan a séparé sur deux étages les deux parties de son existence, qui a commencé il y a quarante-quatre ans. Au rez-de-chaussée, un piano avec partitions sur le pupitre, des CD d’opéras, une biographie de la Callas… Au-dessus, sa vie antérieure, photos d’équipes, trophées, ballons dégonflés. Sa facétieuse maman lui a offert une figurine de la Castafiore. Mais qu’on ne s’y trompe pas le chanteur n’est pas l’homologue de Marguerite, l’héroïne du dernier film de Xavier Giannoli. Sa voix, dotée d’un puissant coffre, est d’une grande justesse, et sa seconde carrière n’obéit pas à un caprice aristocratique.
« Un jour, j’ai fini par demander à ma mère : “J’adorais chanter… Pourquoi tu ne m’as pas payé des cours ?”, confie-t-il. Si j’avais débuté plus tôt, je n’aurais sans doute pas été rugbyman. » Omar José Hasan Jalil est né dans un milieu de commerçants, à San Miguel de Tucuman (couramment appelée Tucuman), dans le nord-ouest de l’Argentine. Son grand-père, un immigré syrien, avait commencé par faire du négoce à cheval, avant d’ouvrir une petite épicerie puis un supermarché.
Avant de se fondre dans un XV, le garçon trouve sa place à la chorale de l’école primaire, puis apprend le solfège. « Je chantais tout le temps, des canons, des chansons traditionnelles, raconte-t-il. Ma tante possédait une collection de disques de folklore. Je mettais l’aiguille, l’arrêtais, notais les paroles, la remettais, etc. Le tango était présent à la maison grâce à mon père qui écoutait un programme de radio le dimanche matin. » Dans les années 1980, ses goûts ne correspondent pas vraiment à ceux des gens de son âge. Il aime se livrer à des imitations du crooner vénézuélien José Luis Rodriguez, dit « El Puma », une sorte de Julio Iglesias sud-américain : « Mes copains me disaient : “Mais qu’est-ce que tu nous chantes ?” »
Par chance, Tucuman possède un club omnisports idéal, Natacion & Gymnasia, qui a importé l’Ovalie dans la province au cours des années 1930. Au fil des ans, la nouvelle recrue ne cesse de se rapprocher de la première ligne. « Au début, je jouais ailier ou centre, se souvient Omar Hasan. J’étais costaud et je n’hésitais pas à foncer droit devant, mais je n’avançais pas assez vite. A 16 ans, j’étais deuxième-ligne mais, comme je ne sautais pas en touche, je me suis retrouvé pilier un an plus tard. J’avais commencé à faire de la muscu, puis de l’haltérophilie. »
- 1971 Naissance le 21 avril à San Miguel de Tucuman, en Argentine.
- 1995 Première sélection nationale contre l’Uruguay à Buenos Aires.
- 1997 Quitte l’Argentine pour la Nouvelle-Zélande puis l’Australie.
- 1998 S’installe en France, à Auch, Agen puis Toulouse.
- 2005 Remporte la Coupe d’Europe avec le Stade toulousain. Entre au conservatoire de Toulouse.
- 2006 Donne son premier concert à Colomiers.
- 2007 Fait ses adieux internationaux lors du match pour la troisième place remporté par l’Argentine contre la France (34-10), le 19 octobre au Parc des Princes.
- 2008 Dispute son dernier match le 28 juin lors de la finale du Top 14 au Stade de France. Toulouse l’emporte contre Clermont 26 à 20.
- 2015 Chante dans Café Tango.
- Au Stade de France de Saint-Denis, après la demi-finale de Coupe du monde perdue contre le futur vainqueur, l’Afrique du sud, le 14 octobre 2007. L’Argentine obtiendra la troisième place cinq jours plus tard au détriment de la France, sa meilleure performance à ce jour.
L’heure des choix arrive. Etudiant en agronomie à l’université de Tucuman et membre de son chœur, le rugbyman honore sa première sélection nationale pour un test-match contre l’Uruguay à Buenos Aires en 1995, année charnière puisqu’elle est celle de la professionnalisation de ce sport. Deux ans plus tard, il part tenter sa chance en Nouvelle-Zélande et ne reste que quelques mois à Wellington avant de rejoindre l’Australie. Avec les Brumbies de Canberra, il participe au Super 12, la compétition réunissant alors des franchises néo-zélandaises, australiennes et sud-africaines.
Dès 1998, il se fixe en France alors qu’il ne parle aucun mot de la langue. Repéré par le sélectionneur des Bleus, Jacques Fouroux, qui le fait venir à Auch, il n’y passe qu’une saison, débauché par Agen qui, à son tour, ne pourra le retenir quand le Stade toulousain lui fera les yeux doux en 2004. Pendant ces années, la trajectoire d’Omar Hasan épouse la spectaculaire ascension des Pumas. Décevants jusqu’alors en Coupe du monde (ils furent incapables de franchir le premier tour lors des trois premières éditions), les Argentins émergent en 1999 en atteignant les quarts de finale, après avoir éliminé l’Irlande en barrages.
« Ce fut un long chemin, analyse Omar Hasan. Lors de la tournée de 1997, on avait pris presque 100 points lors d’un premier test-match contre les All Blacks. J’avais honte. Et dix ans plus tard, on a rêvé d’être champions du monde autour de notre capitaine, Agustin Pichot. » Lors du Mondial français de 2007, la « génération dorée » des Juan Martin Hernandez, Felipe Contepomi ou Mario Ledesma brille en battant le pays hôte à deux reprises. Les Sud-Africains, futurs vainqueurs, la priveront de finale. Le 19 octobre, au Parc des Princes, Omar Hasan fait ses adieux internationaux, couronnés d’un essai à l’occasion du match pour la troisième place remporté contre les Bleus.
- Partitions d’art lyrique. Entré au Conservatoire de Toulouse 2005, Omar Hasan travaille sa voix cinq heures par jour.
- En 2006, Omar Hasan commença à donner des concerts alors qu’il était encore pilier du Stade toulousain. Il mit un terme à sa carrière sur une apothéose le 28 juin 2008, en soulevant le Bouclier de Brennus après une finale au Stade de France contre Clermont.
Les crampons seront définitivement raccrochés la saison suivante. Le joueur a été comblé par le Stade toulousain, avec lequel il vient de soulever le Bouclier de Brennus après avoir brandi la Coupe d’Europe en 2005. Sa réputation de baryton est alors bien établie dans le monde du rugby. « Je chantais sous les douches et on me considérait un peu comme la femme à barbe, sourit-il. Je me souviens aussi d’un match de Top 14. Le pilier adverse, dans la mêlée, me demande : “Alors, ça va, le chanteur ?” »
Le répertoire de l’autodidacte s’est considérablement étoffé. « J’ai découvert l’art lyrique et les chansons napolitaines grâce à une pub où l’on voyait Maradona et où l’on entendait Funiculi Funicula, avoue-t-il humblement. Je ne savais pas qui chantait. J’ai demandé dans un magasin de disques. » C’est ainsi que Luciano Pavarotti est entré dans sa vie, bientôt suivi par le baryton russe Dmitri Khvorostovski ou le baryton-basse gallois Bryn Terfel, un ancien troisième-ligne.
Il lui manquait seulement un mentor. En 2000, lors d’une troisième mi-temps à Agen, Jean-François Gardeil, fondateur de la compagnie Les Chants de Garonne, décèle le potentiel du pilier, qui s’est lancé dans du Verdi. Il l’initiera au baroque et aux mélodies françaises. « J’ai vu alors un moyen de sortir du rugby professionnel », déclare l’ancien numéro 3, qui entre en 2005 au conservatoire de Toulouse comme élève de la grande mezzo-soprano Jane Berbié. Un an plus tard, à Colomiers, Omar Hasan présente en soliste un premier tour de chant autour du tango, accompagné par Roger Pouly, pianiste de Charles Trenet, « un Clermontois fan de rugby ». Depuis, Omar Hasan a créé le spectacle Café Tango, où il est accompagné par une violoncelliste et un accordéoniste – et l’a été occasionnellement par l’orchestre de chambre de Toulouse. « Là, je suis vraiment en première ligne, s’anime-t-il. Exposé comme le serait un buteur ou un talonneur quand il lance le ballon lors des touches. »
- L’heure du maté.
- Après audition, le baryton a participé à des productions. Entre autre du King Arthur de Purcell, du Platée de Rameau, de La Belle Hélène d’Offenbach ou de L’Enfant et les sortilèges de Ravel.
- Le pilier a porté 64 fois le maillot des Pumas entre 1995 et 2007.
Le rugby n’a pas pour autant disparu de la vie du chanteur. Depuis le début de la Coupe du monde, il envoie des messages d’encouragement et de félicitation aux Pumas, qui affrontent dimanche 25 octobre l’Australie à Twickenham pour une place en finale. Jusqu’en 2011, Omar Hasan s’est occupé de la mêlée des espoirs du Stade toulousain. Avec les nouvelles règles entrées en vigueur en 2012, il voudrait faire valoir son expérience « sur l’impact et la technique ». C’est ainsi qu’il envisage de monter une « académie ». Pas musicale, mais « pour les premières-lignes ».
Texte de Bruno Lesprit