Avec Somewhere, son premier EP, Sacha Rudy s’essaie à dépeindre ce qu’est avoir 20 ans en 2021.
Pianiste, chanteur et producteur virtuose, il livre huit titres d’une pop entraînante et hypnotique. Un univers solaire où son chant en anglais nous transporte vers un ailleurs onirique.
Sacha Rudy fait partie d’une drôle génération. Celle qui a éclos en 2000 et a poussé trop vite dans un monde halluciné. À 20 ans, ce jeune Français aux traits slaves et à l’esprit bien fait semble avoir vécu cent vies. Pianiste et auteur prolixe, il a déjà écrit et produit plus de mille chansons, et collaboré avec Daniel Caesar, Marcelo D2, Seu Jorge, Laylow ou Crystal Murray.
Composé entre Los Angeles, sa cité d’adoption, et Paris, sa ville de toujours, Somewhere est un miroir de nos états d’âme actuels, une oscillation entre euphorie et mélancolie. Ce va-et-vient s’incarne d’abord à travers une voix singulière, qui convoque autant les crooners des années 1960 que Tame Impala. Sacha Rudy chante naturellement en anglais. Cela doit en partie au brassage linguistique familial, à son père qui a fui l’URSS à vingt ans, à sa mère catalane. Il y a aussi ses premiers émois musicaux avec Syd Barrett et John Lennon. Plus tard, à l’adolescence, c’est James Blake ou Kanye West qui tournent en boucle sur son iPod. Et puis, Sacha Rudy est d’une génération qui a grandi entouré de Daft Punk et Phœnix, une génération qui a été autorisée à rêver en anglais.
Hommage sans rancune à quelques projets et un paquet de fêtes avortés, ce premier EP s’ouvre sur un morceau (« Eyes Wide Shut ») conçu pendant le confinement de mars. Comme une évidence, c’est au piano, son instrument de prédilection, qu’il lance les hostilités. Sacha Rudy évoque les rues vides et la solitude, mais on comprend vite que son horizon dépasse le spectacle d’un Paris inanimé. Il plane comme un parfum de songe. La recherche symbolique de ce Somewhere s’esquisse. Elle s’affirme pour de bon lorsque Sacha Rudy chante « Anywhere, anywhere out of this world » (« Breathe »), écho assumé aux voyages éthérés de Charles Baudelaire. C’est une constante : les refrains percutent et les mots sont sermonnés comme on récite des mantras.
Avec malice, Sacha Rudy construit un équilibre remarquable sur la globalité du disque. À l’instar des jeunes gens de sa génération, plus que le genre, c’est la direction qui trouve grâce à ses yeux. Sans jamais verser dans le cliché, son EP explore différentes teintes de l’époque, allant du songwriting (« Upside Down ») au disco (« Breathe »), en empruntant les chemins de la soul (« Be a Man »), de l’Amérique du Sud (« Uniforms ») et même de la vapor wave (« 405 »). Au gré des morceaux, on décèle un art de la fausse simplicité apparente et un goût habile pour l’espièglerie. Sans rien s’interdire, il invente une pop bien à lui, envoûtante, élégante et humaine, « quelque part » entre Chico Buarque, Frank Ocean et Brian Wilson.
Enfin, il y a tout ce qui est laissé à l’interprétation de chacun. Le romantisme du garçon donne toute sa mesure et le songwriting en anglais prend tout son sens. Ici les réminiscences d’un amour adolescent proustien à la sauce west coast (« I don’t want to recognize / This dream is very much alive »), là les difficultés existentielles à l’heure du passage à l’âge adulte (« It ain’t easy to be a man »), sans oublier les romances qui dérèglent le réel (« I’m getting stuck in fantasies / Help me get of here ») et les tourments d’une génération biberonnée au virtuel et désireuse de plus de réalité charnelle (« Cure Me / Make me forget the things I’m scared of »).
Au-delà de la quête intime, voilà aussi et surtout un EP qui fait du bien. Comme un shoot mélodique de bien-être qui se chante et qui se danse. Contre la morosité ambiante, une petite potion réconfortante.