Jean-Noël Martin est un spectateur éclairé qui nous partage avec la ferveur de sa plume aiguisée, ses impressions et humeurs de ce qu’il pu a observer avec ses yeux et ses oreilles.

Aujourd’hui, retour sur un après-midi en compagnie des improvisations « mash-upesque » de Sylvain Griotto.

Le Pendule de Griotto

 

Coller Prévert et Beaudelaire, Eluard et Rimbaud qui oserait cela? Essayons…

« La terre est bleue comme une orange
Jamais une erreur les mots ne mentent pas
Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs,
où tous les vins coulaient. Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux…
Au tour des baisers de s’entendre
Les fous et les amours,
Elle sa bouche d’alliance… »

Ce qui paraît hasardeux avec des mots se révèlent d’évidence avec la musique grâce à sa matière ductile et à la fluidité de son vocabulaire. On se permet ainsi
des architectures, des mariages et des chimères peu communes, par exemple, Mozart et Higelin, n’avait-il pas ce Jacques, tombé du ciel, l’impertinence naturelle d’un Figaro et d’un Amadeus? Nous irons ainsi dans un même mouvement de Nirvana à Satie, nous enfourcherons les Wild Horses stoniens pour rejoindre les Paradis Perdus d’un Christophe, le quintette en ut de Schubert s’envolera vers Space Oditty et on reviendra vers Nohant avec l’étude opus 25 de Chopin, en sortie Still Lovin’ you flirtera avec la Sonate au Clair de Lune et La Résurrection de Mahler viendra provoquer les Jets et les Sharks… »I like to be in America… » nul doute que Leonard Bernstein aurait apprécié.

Sylvain Griotto amuse son piano qui le lui rend bien, tout cela commence avec une chronique plus grave qu’il n’y paraît que nous livrèrent les Beatles dans « A day in the life »…I read the news today oh boy… »le monde tourne si vite que le tournis nous prend, nous emporte, il faut un Griotto pour nous récupérer et nous faire atterrir sans dommage, suivent des titres fusionnés en un seul, autrement dit « mash-up », deux titres qui se retrouvent à la colle pour un temps au bon plaisir du musicien recomposant.

Avec Paint it black, on imagine le couvercle du piano comme une porte rouge passée entre les mains de Soulages: « I see a red door, And I want it painted in black… » et le noir devient une couleur comme les autres peut-être plus lumineuse qu’aucune. Ainsi Sylvain Griotto repeint son piano aux couleurs du temps et nous avons du Soulages qui chante. Le pianiste prend son instrument à bras le corps pour faire valser sur tous les temps, telle mélodie avec telle autre. Nous sommes toujours au carrefour d’un titre et d’un autre entre deux ou trois airs quand ce n’est pas plus. Cette réalité là peut s’écrire sur un clavier en noir et blanc avec les trois pieds du piano et les trois mains du pianiste, cette troisième invisible menant le chœur des harmoniques vers leur penchant naturel.

Pour le dernier rappel, Cosma et Mahler « à l’arrache », dixit Sylvain Griotto, Rabbi Jacob danse avec Mahler, Résurrection, décidément tout est possible surtout l’improbable. Sous la halle de Saint-Léonard de Noblat les dernières notes s’envolent, une lanterne énorme suspendue à la poutre maîtresse au dessus du piano oscille doucement, imperceptiblement, ce mouvement pendulaire nous relie à la giration terrestre. La musique s’est tue, le mouvement infime se poursuit, on pourrait lui demander « Porque te valse » parce que  » Todas las cosas que quedaron por decir se dormiran ».

Toutes les choses qui resteront à dire, s’endormiront…en attendant la brise du souvenir?

Bajo la penumbra de un farol
Se dormiran
Todas las cosas que quedaron por decir
Se dormiran
Sous la pénombre d’un phare
S’endormiront
Toutes les choses qui resteront à dire

Valse donc la lanterne avec la ronde terrestre.

Il faut se rendre à l’évidence même si peu, l’ont observé, nous venons de découvrir le pendule de Griotto. Nous étions bien là sous la halle de Saint-Léonard de Noblat en ce vendredi 31 juillet 2021 dans une odyssée spatiale.

Jean-Noël Martin

 

*Mash-up, ou number vs number (titre contre titre) jeu d’hybridation inspiré du pot-pourri où s’invite par la fantaisie et la créativité du musicien/sampler/compositeur, toutes les facéties, trouvailles, fulgurances qui vont engendrer au sens littéral de nouvelles créatures musicales. Un exemple pour amuser les enfants, les paroles de Savez-vous planter les choux sur l’air de la Marseillaise etc.