Nicolas Horvath : « C’est le public qui rend le concert inoubliable. »

Nicolas Horvath : « C’est le public qui rend le concert inoubliable. »

vendredi 28 avril 2023

Pianiste virtuose au parcours atypique, à l’origine d’un double-album qui rend hommage aux films  du Studio Ghibli, Nicolas Horvath nous parle de sa passion pour la musique, les mangas et la culture japonaise. 

 Vous avez été repéré très jeune comme prodige du piano. Quel est votre premier souvenir musical ?
Ce n’est pas tout à fait vrai. J’ai commencé jeune le piano à l’Académie de Monaco, mes études se passaient plutôt bien mais je ne venais pas d’une famille de musiciens. Personne ne pouvait imaginer une seule seconde que j’allais faire carrière. La musique n’était qu’un hobby.
Mon potentiel n’a été découvert qu’à l’âge de 14 ans ce qui est vraiment tard pour ce type de carrière.
Je n’ai pas eu un parcours traditionnel mais j’ai eu la chance et l’honneur de travailler avec d’éminents professeurs, dont Gérard Frémy, qui m’a fait découvrir la musique de notre temps.

J’ai dans ma bibliothèque une photo sur laquelle je touche pour la première fois un piano, mais je ne m’en souviens plus du tout. Je devais avoir 3 ans peut-être …

En revanche, je me souviens avoir été très marqué par l’exécution du deuxième concerto de Rachmaninov par Lilya Zilberstein accompagnée par l’Orchestre Philharmonique de Monaco. J’avais été impressionné par la puissance du son et le parfait équilibre entre le piano et l’orchestre.  Depuis ce jour, j’ai toujours rêvé de jouer ce concerto.

 Vous êtes un habitué des marathons musicaux, vous avez donné un concert qui a duré 35h, la plus longue performance non-stop jamais exécutée. Comment le public reçoit-il une telle performance ? Y a-t-il une relation particulière qui s’installe avec les spectateurs ?

 Je préfère le terme de concert fleuve à celui de marathon. Marathon, pour moi, fait référence à un exploit sportif. Je vois ces concerts comme une invitation au voyage, la possibilité de faire découvrir des œuvres qui n’ont pas leur place dans les récitals traditionnels… Je suis poussé par un désir de partage, bien plus qu’une simple performance.

Pour les 35 heures de concert, il s’agissait de la plus longue version des Vexations d’Erik Satie au Palais de Tokyo le 12 décembre 2012.

Je n’ai malheureusement accès aux spectateurs qu’après le concert, je dois surtout économiser mes forces pour jouer toutes les œuvres au programme !
Si certaines personnes du public sont attirées par le coté performance (le pianiste un peu fou réussira-t-il à tenir jusqu’au bout ?), la plus part du temps, ils s’installent car ils découvrent un « vrai » concert. Je mets un point d’honneur à offrir aux personnes arrivant au milieu de la nuit la même intensité d’interprétation qu’aux personnes étant présentes depuis le début.

Je suis toujours heureux de voir qu’ils s’approprient le concert fleuve, se détendent et restent longtemps (et de temps en temps, ils n’hésitent pas à dormir !).

Nicolas Horvath

 

On entend souvent parler d’une nécessité de “briser les codes”, notamment pour la musique classique. Personnellement, j’essaie d’appliquer aux concerts classiques les codes des concerts de rock, ou de métal, où il est possible de sortir et de revenir sans que cela ne pose de problème à personne, de prendre des photos, de lire.

Certes l’instrumentiste perd en qualité de silence, mais contrairement aux idées reçues, le public qui est au plus près du musicien est extrêmement attentif et ne bouge pas !

Vous avez joué en collaboration avec des artistes du monde entier. Comment les différentes cultures, les lieux influencent-ils votre musique ? Les ressources d’une ville comme Limoges (son patrimoine industriel, architectural…) peuvent-elles être une source d’inspiration ?

Ce qui m’inspire, c’est surtout tout ce qui est organisé et l’ambiance autour du concert. Le festival 1001 Notes, avec son organisation conviviale, permet de très belles rencontres avec le public, ce qui rend l’expérience très riche. C’est le public qui rend le concert inoubliable. La beauté de la musique est multiforme. Certaines sont plus savantes que d’autres. Il faut tout faire pour essayer de dépasser ces codes culturels, les transcender (et surtout ne pas les uniformiser) pour que le public puisse oublier ces détails et ainsi vivre un moment de grâce.

Je me souviens d’un de mes concerts à Fukuoka. Pendant tout mon récital le public ne réagissait pas et j’étais persuadé qu’il s’ennuyait. Quand je me suis levé, j’ai reçu un tonnerre d’applaudissements. J’ai à ce moment-là compris que malgré nos différences culturelles, j’avais pu leur transmettre ma musique.

Une des grandes richesses d’un concert se trouve justement dans les rencontres, la découverte  d’autres façons de travailler, de comprendre, d’apprendre….  Un choc culturel permet souvent de prendre du recul par rapport à certaines idées reçues.

Êtes-vous amateur de culture japonaise ? de manga ? Comment vous est venue l’idée de cet hommage au studio Ghibli pour le festival 1001 Notes ?

Oh oui, assurément ! Ado j’étais un « hardcore gamer » (j’étais capable de « onelifer » Ghost & Goblins et Megaman), adulescent j’étais un « otaku » [quelqu’un qui aime la culture japonaise], j’allais dans des conventions. Depuis toujours, j’utilise la musique d’animés et de jeux vidéos pour permettre à mes élèves adolescents de continuer à s’exprimer à travers le piano. J’ai découvert cette musique en même temps que Chopin, Liszt et Rachmaninov.

Certains compositeurs sont géniaux et même s’ils n’ont jamais cherché à s’inscrire dans l’histoire occidentale de la musique, leurs compositions sont très belles et sont vraiment appréciées par le grand public.

Dans les années 2009-2010, quand j’ai gagné mes premiers concours internationaux et que j’avais enfin la main sur mes programmes, j’en profitais pour y ajouter ces compositeurs. Imaginez Uematsu ou Hisaishi entre Mozart, Liszt et Scriabine !

Pour éviter un veto de la part des organisateurs de concerts, au lieu de mettre le titre du jeu vidéo, je n’écrivais que le nom du compositeur ainsi que le nom de la pièce en Romanji (transcription phonétique du titre japonais, « Nobuo Uematsu : ai no tema » est plus discret que « Final Fantasy :  le thème de l’amour »), le tour était joué.

Dès que le concert était terminé et que le public enthousiasmé me demandait plus d’informations, je prenais un malin plaisir à leur que la musique qu’ils avaient tant aimé était de la musique de jeux vidéos ! Il y a 15 ans jouer dans des concerts « traditionnels » une telle musique était un vrai tabou.

Après, ce sont les conventions qui m’ont invité à donner des concerts de musiques de jeux vidéos.

Un hommage au studio Ghibli va faire l’objet d’un double-album validé par le studio et les ayants-droits de Joe Hisaishi (le compositeur). Les avez-vous rencontrés ? Comment ont-ils reçu le projet ?

 Je n’ai malheureusement pas encore eu l’honneur de les rencontrer. Ce magnifique projet a été orchestré par le label Wayo records.

Cela fait de nombreuses années que je travaille avec eux et réalise des transcriptions officielles. J’ai pu réaliser une transcription de Final Fantasy VI pour les éditions Pix n’ Love, des transcriptions pour des albums (CD & LP) de Magician Lord, Little Big Adventure.

Ils m’ont invité à accompagner au piano Danny Elfman lors du concert anniversaire Tim Burton en 2015 au Grand Rex. Cette collaboration a donné naissance à un récital Tim Burton.

Cela fait de nombreuses années que nous avions ce projet d’hommage Ghibli / Hisaishi, mais les ayants-droits ont été très longs à nous répondre. Ils ont tout validé, le programme, mes enregistrements ainsi que mes transcriptions !

Le double-album devrait sortir au cours du printemps 2023.

Ce projet vous donne-t-il envie de créer une bande originale de film ?

 J’adorerais pouvoir en composer une, mais je n’ai aucun contacts et surtout je n’ai aucune d’expérience. Je compose de la musique electroacoustique / dark ambient / noise. Ces compositions pourraient tout à fait devenir des bandes-son. Malheureusement pour le moment on ne me l’a jamais demandé.

Mais j’ai de nombreux projets, j’aime découvrir et partager de nouveaux répertoires, des compositions inédites, de nouvelles musiques !

Pensez-vous que le mélange de la musique classique et des musiques actuelles représente l’avenir de la musique classique ?

Je partage votre point de vue. Il me semble qu’il est plus intéressant de mélanger les codes, les genres, les styles plutôt que de rechercher à tout prix à les briser.

Dès mes premiers récitals de piano, je me suis imposé d’inclure dans mes programmes un tiers de création. Cela me permettait de tester auprès du public ce qui avait le plus de succès.

Le plus important est d’explorer en essayant de garder sa fraîcheur et sa curiosité. Il est si facile de rentrer dans une posture et d’en devenir prisonnier ….

Je comprends que l’on soit pessimiste sur la diversité du public de musique classique. On s’imagine un public vieillissant. Malgré ça, il est toujours là et il se renouvelle. Il existe en France de nombreux déserts culturels où le public rêve d’assister à un vrai concert !  Et si c’était eux la relève de la musique classique ?

 Vous enseignez la musique. Quel est votre conseil pour les jeunes musiciens d’aujourd’hui ?

 Il faut travailler et persévérer. Ne pas avoir honte de ne pouvoir jouer que 5 minutes une fois et 1 heure une autre fois. Ce qui est le plus important est la régularité !

Restez curieux, pour les sources préférez la BnF à Wikipedia, et ne vous laissez pas imposer vos choix par les playlists générées par des IA soit disant pour coller le plus à vos goûts. N’hésitez jamais à écouter des musiques qui a priori ne vous attirent pas, c’est comme ça que j’ai fait mes plus grandes découvertes !

La musique est belle et le répertoire est immense. Vous êtes l’avenir de la musique, vos choix seront les standards de demain !

Propos recueillis par Morgane Gander