Découvrez l’intégrale des oeuvres pour piano de Jean Catoire interprétées par Nicolas Horvath, en huit volumes.
Jean Catoire est né à Paris en 1923 de parents russes (et d’origine française et allemande) tout juste installés dans la capitale. Enfant, il est immergé dans la culture russe et à l’âge de 15 ans, il entre au Conservatoire Serge Rachmaninov, où il prend ses premiers cours de piano dans le cadre d’un cursus diplômant. Quelques années plus tard, il étudie la composition avec Paul Kovalev (ancien élève de Max Reger au Conservatoire de Leipzig) et Vladimir Butzov, pianiste et compositeur russe renommé.
Après la guerre, ses études avec Messiaen – dans le cadre des cours d’analyse musicale au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris – le conduiront en 1949 à Tanglewood où il découvrira un nouveau monde musical. En 1950, le chef d’orchestre Léon Barzin, avec qui Catoire avait étudié à Paris, dirige sa 7e symphonie (Catoire en composera plus de 70) à Carnegie Hall – Jean Catoire n’avait que 27 ans. Toujours dans les années 50, ne se reconnaissant pas dans la nouvelle tendance musicale parisienne (et particulièrement dans la musique que compose les étudiants de Schoenberg et de Nadia Boulanger), Catoire commence à tracer sa propre voie, en solitaire.
Pendant trois ans, dans le cadre de son enseignement, Jean Catoire confronte à ses élèves ses conceptions musicales très personnelles. Après une période de plus de dix ans de recherche, il découvre « la possibilité pour un compositeur de réaliser de manière optimale sa quête personnelle non dans le refus du ou des styles de son temps, mais par une volonté audacieuse, dans l’acte conscient d’accession à la réalité première que tout vrai compositeur porte en lui ». Le résultat est une production importante et totalement ignorée qui, sur une période de 45 ans, a anticipé la musique des compositeurs minimalistes les plus connus.
A partir de la Dixième Symphonie (Opus 98, 1957) Jean Catoire compose dans le but de transmettre sa vision absolue des archétypes non résonants. En retranscrivant sous forme de schéma des archétypes idéaux – qu’il perçoit lors de visions « qu’ils soient anté-sonores et donc à réaliser en structures sonores, ou visuels à réaliser en graphisme » – Jean Catoire se rapproche ou adhère totalement à l’idée de Pythagore, selon laquelle le monde est une forme parfaite, dont la contemplation doit être une inspiration.
Jean Catoire était conscient que la recherche d’un « état primitif » des architectures sonores, le ferait remonter jusqu’à une période pré-historique lors de laquelle les démonstrations sonores ou visuelles n’avaient pas de finalité artistique et n’étaient pas un « dérivé » (comme ce fut le cas du XIVe jusqu’au début du XXe siècle). Au contraire, ces démonstrations participent à la vie de la société dans le but d’éveiller une résonance dans le psychisme des individus et cela uniquement par la puissante énergie du son.
Dans toutes les oeuvres composées après 1957, Jean Catoire se concentre sur un unique élément qu’il démultiplie « pour conduire l’auditeur à la préhension de l’archétype anté-sonore afin d’abolir en lui la notion de temps ». « Chaque note possède sa propre valeur absolue, inscrite dans l’absolu des autres notes ; chaque note doit être jouée seule, il n’y a donc pas de phrasé au sens musical du terme. Pas de nuance non plus, car de telles nuances, qui servent à rehausser la musique, empêchent la continuité de la régularité qui conduit à l’anté-son et donc à l’Absolu du son avant le son, et du non-temps ».
Selon le compositeur : la structure si particulière de ses compositions permet à l’auditeur « de dépasser les limites du temps qui passe vers l’illimité du non-temps. Le non-temps n’est pas l’intemporalité. De même que le non-acte n’est pas l’inaction, ainsi le non-temps est l’état antérieur dans lequel non seulement le temps n’a pas commencé son inexorable déroulement mais où aussi – grâce à l’absence de temps, principalement (mais il y a aussi d’autres causes à cela) – l’espace, c’est-à-dire l’image en deux ou trois dimensions est abolie ».
Les compositions de Jean Catoire sont écrites soit dans un tempo très lent avec des nuances délicates, soit dans un tempo rapide avec des nuances fortes. Le but est « de rendre au son sa composante primordiale en évitant tout contraste thématique et dynamique, afin d’aborder de la manière la moins incorrecte possible l’archétype dans son état de non-temps et de non-espace ».
Une telle nudité peut rappeler les œuvres orchestrales de Johann Sebastien Bach, qui ne contiennent aucune indication de nuances. On pourrait aussi les rapprocher de celles de Mozart, dans lesquelles l’utilisation fréquente de l’indication forte-piano est bien plus à rapprocher d’une volonté d’accentuation plutôt que de nuances. Dans l’œuvre de Mozart, le forte représente dans l’absolu, la plus grande intensité sonore. Chez ces deux compositeurs, pour ne citer qu’eux, le phrasé apparaît à travers les différents registres, les différentes couleurs des tonalités, ainsi que la place occupée par chaque note dans un édifice sonore issu de l’anté-son absolu. Un absolu très présent dans l’œuvre de Bach et dont l’équilibre avec le relatif (ce que Catoire appelle l’« apparat humain accommodant ») atteint la perfection dans les œuvres de Mozart.
Texte écrit par Lawrence Ball et traduit en français pas Nicolas Horvath.
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