Nicolas Krauze : « le chef d’orchestre est un officier de deuxième ligne »

Nicolas Krauze : « le chef d’orchestre est un officier de deuxième ligne »

samedi 15 mai 2021

Habitué du Festival 1001 Notes où il s’est produit à maintes reprises – après l’avoir même co-fondé – Nicolas Krauze revient cet été à Limoges pour notre plus grand plaisir. Entretien avec ce chef d’orchestre talentueux qui dirige l’Orchestre de chambre Nouvelle Europe depuis 2003.

 

Quel est selon vous le rôle le plus important d’un chef d’orchestre ?

« Il y a trois rôles chez un chef d’orchestre. Le premier, c’est d’avoir la vision d’une œuvre. Le deuxième est de savoir faire travailler les musiciens ensemble et le dernier est d’apporter un certain élan pendant le concert pour permettre aux musiciens de jouer le mieux possible. Ce sont les trois rôles : la vision, la capacité de faire progresser l’orchestre et, en concert, être porteur grâce à un certain charisme. Parmi ces trois rôles, je dirais que le plus important est d’avoir une vision de l’œuvre et de savoir la mettre en valeur pendant le concert.

Comment avez-vous adapté votre travail pendant la pandémie ?

Il faut être honnête : les tentatives de concert en ligne n’ont pas vraiment fonctionné. Je pense que les gens ne sont pas prêts pour cela. Un vrai concert, avec des vrais gens, dans une vraie salle, ce n’est pas transposable sur un smartphone, du moins pour l’instant. En général, ce sont souvent les amis qui regardent ces concerts. En revanche, quelques idées sont nées. Je me dis que peut-être, la technologie pourrait permettre aux uns et aux autres de se mettre un peu à la place du chef d’orchestre et que ça pourrait être un plus énorme. Par contre, comment réaliser cela, je ne le sais pas encore…

En tant que chef d’orchestre, quel est votre rapport au public ?

Alors, c’est intéressant… Il faut savoir que normalement, un chef d’orchestre ne s’occupe pas du public, il s’occupe uniquement des musiciens. On est là pour faire de la musique et pour aider les musiciens à jouer ensemble. On essaye de leur faire prendre des risques gestuellement parlant, pour qu’ils soient le plus à l’aise possible. Personnellement, je m’efforce d’avoir une gestuelle qui s’adresse à la fois aux musiciens et au public. Aux musiciens, pour être efficace bien-sûr. Et au public, en adoptant une gestuelle quelque peu chorégraphique afin de lui donner quelques pistes pour accroître l’effet sonore.

Avez-vous des gestes bien à vous pour diriger un orchestre ?

On m’a souvent dit que j’avais un style assez dansant, en fait, je gigote pas mal ! Pour le Festival 1001 notes, nous aurons un petit effectif orchestral. Ce ne sera pas un orchestre de 90 musiciens. L’ambiance ne sera pas la même… En tout cas, mon style est plutôt physique, dansant, si l’on me compare à d’autres chefs d’orchestre qui eux, sont assez minimalistes, et qui adoptent de petits gestes.

Vous êtes-vous toujours destiné au métier de chef d’orchestre ?

Non, à la base je suis violoniste. J’ai fait vingt ans de violon et puis, j’ai eu une révélation en remplaçant un chef d’orchestre pour quelques minutes au pied levé ! Il m’a appelé et il m’a demandé de le remplacer. J’ai eu un flash, j’ai réfléchi et je me suis questionné sur le métier de chef d’orchestre. Aujourd’hui j’en suis très content, cela me correspond beaucoup plus que d’être violoniste. Il y a des personnes qui préfèrent être instrumentistes. En effet, quand vous êtes instrumentiste ou chanteur, vous produisez directement la musique et le son, c’est-à-dire que cela sort de vous, donc vous êtes vraiment le moteur de tout cela. Quand vous êtes chef d’orchestre, vous êtes l’intermédiaire, vous ne produisez rien du tout, c’est une autre ambiance et une autre psychologie. L’instrumentiste ou le chanteur pourrait être comparé au soldat qui va au front, c’est lui qui est en première ligne. Le chef d’orchestre est plutôt l’officier qui est en deuxième ligne mais qui a une responsabilité énorme, et je pense que cela me correspond davantage. Ceux qui font la musique, ce sont les musiciens, pas le chef d’orchestre.

Quels sont vos projets ?

Avec l’Orchestre de Chambre de la Nouvelle Europe, on avait de très beaux projets, surtout que l’on commence à être reconnu à l’étranger – c’est une chance pour un orchestre généraliste. Nous ne sommes pas spécialisés dans le baroque ou le contemporain, au contraire, on est un orchestre avec un répertoire assez large. Il y a donc beaucoup de concurrence par définition. Cependant, nous avons eu la chance d’être repérés et 2020 devait être notre plus belle année au niveau international. Tous les concerts ont bien sûr été annulés et pour le moment, nous n’avons que peu de visibilité. Ce que j’aimerais bien, et ce que j’espère, c’est que nous reprendrons avec cette perspective internationale en plus de faire des concerts en France. J’aimerais aussi poursuivre ce que l’on avait commencé avec succès en 2019. Les années 2020 et 2021 ont été une catastrophe pour nous, car même si demain matin l’épidémie s’arrêtait au niveau mondial et qu’il n’y avait plus aucune contamination, il faudrait au moins un an pour organiser une tournée internationale. Ce qui est terrible, c’est que l’on a au moins deux ans d’annulation pour tous les projets internationaux. On se redirige donc sur des projets plus franco-français qui sont tout aussi qualitatifs. Nous serons bientôt au festival d’Auvers-sur-Oise et bien sûr, sur la scène du Festival 1001 Notes.»


Propos recueillis par Théoxane Moreau

Nicolas Krauze et l‘Orchestre de la Nouvelle Europe accompagneront le violoncelliste Bruno Philippe le 6 aout dans la Cour d’Honneur du Palais de l’Évêché de Limoges, plus d’infos ici.