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Entretien avec Vladimir Cosma : « La musique n’est pas au service de l’image, il s’agit d’un art abstrait propre à lui-même »

mardi 23 février 2021

Doit-on encore présenter celui que l’on surnomme le « Mozart français de la musique de film » ? 
Compositeur émérite et prolifique, il a dessiné les contours de l’identité musicale de plusieurs centaines de productions cinématographiques et télévisuelles francophones.
Catalogué par les sacro-saintes « étiquettes françaises » comme compositeur de musiques de films, Vladimir Cosma est avant tout un compositeur complet influencé par les musiques roumaines et d’Europe de l’Est de sa jeunesse, mais puise aussi du côté de la musique jazz.

Avec plus de 300 compositions de musiques pour le cinéma et la télévision, Vladimir Cosma berce encore aujourd’hui notre imaginaire grâce à des titres cultes comme « Reality » ou bien des bandes originales comme celles de « l’Aile ou la Cuisse », « Le grand blond avec une chaussure noire » ou encore « Les aventures de Rabbi Jacob ».

Aujourd’hui, Vladimir Cosma se consacre à la direction de son concert de ses meilleures bandes-originales accompagné d’un orchestre philarmonique ainsi qu’un chœur de chanteurs…
Rétrospective d’une carrière hors-norme pour mieux connaître le « Grand Cosma » d’aujourd’hui.

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© Photo : Thomas Morel-Fort


1001 Notes : Bonjour Vladimir Cosma, être musicien était une évidence pour vous ? 

Vladimir Cosma : C’est une aspiration qui m’est venue très tôt dans ma vie, de par mon héritage familial et culturel. Cependant, je me souviens que dans ma période prépubère, j’avais eu l’envie de devenir joueur d’échec professionnel ou bien mathématicien, car je pensais à l’époque que le monde de la musique était trop aléatoire. Malgré tout, je me suis rendu compte que j’étais devenu un musicien à part entière car toute mon enfance a été bercée par le travail du violon et les concerts que je réalisais en Roumanie.

1001 Notes : Pourquoi avoir voulu rejoindre à tout prix la France ?

Vladimir Cosma : C’est à cause (ou grâce) à mon père qui rêvait dans sa jeunesse de vivre à Paris. Il avait par ailleurs réalisé partiellement ce rêve, puisqu’il y fît ses études au lycée Janson de Sailly dans l’optique de s’installer durablement en France.

J’ai d’ailleurs été conçu à Paris, mais né en Roumanie *rires*. En effet, en 1939 lorsque mon père avait 29 ans, ma mère l’avait accompagné à Paris, mais ils ont dû revenir en catastrophe en Roumanie pour l’enterrement de mon grand-père. Puis la guerre a éclaté, les frontières ont été fermées et  son rêve de France s’est échappé provisoirement avec l’arrivée du communisme et de la ligne de fer.

C’est seulement en 1962 que l’on retrouvera tous Paris en s’échappant du joug communiste de Roumanie grâce à des subterfuges que je ne peux pas vous révéler.

1001 Notes : On parle souvent de votre rencontre avec Michel Legrand comme « l’accélérateur » de votre carrière de compositeur, mais quelques années auparavant vous faites la rencontre de la pédagogue Nadia Boulanger. Pouvez-vous nous en parler ? 

V. Cosma : J’ai rencontré Nadia Boulanger au Conservatoire américain de Fontainebleau, l’un des grands refuges des artistes internationaux [NDLR : Quincy Jones, Philip Glass…] qui souhaitaient s’imprégner de la grande musique classique française. L’équipe pédagogique a toujours intégré les grandes figures de la musique classique comme par exemple Gabriel Fauré, Maurice Ravel, Claude Debussy, Théodore Dubois, Marcel Dupré, Henri Dutilleux.

Les américains et les autres artistes internationaux qui voulaient y apprendre la musique classique étaient fous de ces compositeurs et espéraient atteindre la perfection de Ravel par exemple *rires*.

Pour ma part, je ne suis pas longtemps resté à ce conservatoire et je suis devenu l’élève particulier de Nadia Boulanger chez elle, afin de me prodiguer des cours de contrepoint « à l’ancienne » comme personne ne faisait plus.
Plus que de m’avoir apporté un enseignement précieux, elle m’avait aussi logé dans une des chambres de bonne dans son appartement pendant quelques mois, ce fût une rencontre déterminante dans ma vie.

1001 Notes : A peine un an après votre arrivée à Paris (1964), vous reprenez le chemin des tournées de concerts à travers le monde en tant que violoniste pour des orchestres. Anecdote cocasse de vos voyages, vous avez aussi profité de ces tournées pour vendre… des bérets basques ! Pouvez-vous nous raconter votre carrière parallèle d’import-export ?

V. Cosma : En effet, lors de mes tournées européennes, je profitais de mes voyages en bateau pour transporter des marchandises typiquement françaises dans ma cabine, fournies par un ami.  Il y avait des bérets, des tapis, mais aussi des montres à coucou que je revendais ensuite dans les ports européens.

J’ai fait cela pendant deux ans, puis j’ai dû arrêter le jour où la douane de Limassol à Chypre a saisi une de mes marchandises. Les droits d’entrée n’avaient pas été réglés par le commanditaire et j’ai failli me retrouver dans une situation difficile ! C’est à ce moment là que j’ai compris que ce n’était pas aussi légal que comme on me l’avait présenté.

1001 Notes : En 1968, vous composez officiellement votre première musique de film pour « Alexandre le Bienheureux » en remplacement de Michel Legrand qui était en voyage aux États-Unis. Était-ce un heureux concours de circonstance ou bien c’était la réalisation d’un rêve enfoui ?

V. Cosma : Il s’agit d’un heureux hasard. Je suis avant tout compositeur, peu importe l’étiquette sous-jacente,  c’est à ce titre que je travaillais et apprenais avec Michel Legrand en tant qu’assistant. Le fait d’écrire de la musique pour le cinéma ne m’intéressait pas particulièrement, du moins pas plus que d’écrire pour de la musique pour tout autre spectacle vivant.

La musique de film m’est tombée dessus avec cette première opportunité et elle ne m’a « jamais lâché » depuis.

1001 Notes : Quelle particularité y’a t’il à composer des musiques de films. Doit-on avoir une attention toute particulière pour le grand public, afin qu’elle devienne populaire ?

V.Cosma : Non, je ne pense pas qu’il y ait de différence sonore ou une approche de l’écriture différente. Pour ma part, je ne prends pas en compte le format du medium pour lequel j’écris une musique. Pour aller plus loin, je ne compose pas de musique de film selon le sujet ou le registre du film en question, je n’ai jamais été adepte de la musique figurative que l’on retrouve beaucoup dans les réalisations américaines.

La musique n’est pas au service de l’image, il s’agit d’un art abstrait propre à lui-même. Elle apporte autre chose, une texture supplémentaire propre à elle-même.

1001 Notes : Au zénith de votre carrière de compositeur de musiques de films, vous aviez à réaliser jusqu’à 12 bandes-originales par an. Un succès retentissant qui a fait de vous l’un des piliers de la musique de film francophone. N’avez-vous pas eu peur que l’on « se serve de la marque Cosma » pour assurer le succès commercial d’un film, au détriment de la musique ? 

V. Cosma : Je ne vois pas les choses comme ça. Je pense qu’il ne faut pas avoir peur d’avoir du succès ou bien se poser d’innombrables questions sur de potentielles intentions de producteurs. Je crois en toute modestie que le succès est un moteur à employer dans le bon sens pour le faire « fructifier ».

Par contre, je n’ai jamais poussé le vice de « refaire une recette qui marche ». Par exemple dans film « Le grand Blond avec une chaussure noire », cette musique est devenue culte grâce à la flûte de pan. Je n’ai pas réutilisé cet instrument par la suite car je ne voulais pas me reposer sur mes lauriers.

1001 Notes : Aujourd’hui, on reconnaît dès les premières notes une composition signée Vladimir Cosma. Comment avez-vous réussi à construire une identité musicale propre ?

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                  © Photo : Thomas Morel-Fort

V. Cosma : Je ne saurais pas vraiment l’expliquer, en tout cas ce n’était pas une démarche qui a été calculée. Je fais une musique profondément honnête et très personnelle. J’ai évidemment un style, mais elle ressemble à ce que je suis, je ne cherche pas à copier. Je puise mes influences dans la musique roumaine, la musique française et le jazz. C’est cela qui a donné ce résultat, ce mélange des genres propre à ma personnalité.

1001 Notes : Pour conclure, comment s’est passée votre rencontre avec le Festival 1001 Notes ?

V. Cosma : J’ai rencontré Albin de La Tour [Directeur Artistique de 1001 Notes] par l’intermédiaire d’amis en communs et nous avions discuté d’une collaboration afin de m’épauler sur la partie organisationnelle de la représentation. En l’occurrence, il s’agissait d’une collaboration sur mes derniers concerts que j’ai réalisé à Paris avec un bel orchestre [NDLR : Vladimir Cosma au Grand Rex]. Il s’agit d’ailleurs des derniers concerts que j’ai donné avant l’arrivée de la pandémie.

Nous retrouverons pour notre plus grand plaisir Vladimir Cosma pour l’édition 2021 du Festival 1001 Notes le 24 juillet à St-Priest-Taurion
Voir sa biographie en cliquant ici.