Chère Astrig, mi-Boulanger mi-Chanel

Chère Astrig, mi-Boulanger mi-Chanel

jeudi 11 mars 2021

Dans son dernier album intitulé Dear Mademoiselle (sorti en novembre 2020), Astrig Siranossian dialogue avec celle que l’on appelait affectueusement « mademoiselle » et dont la violoncelliste parisienne a déjà côtoyé certains des anciens disciples : la compositrice et pédagogue Nadia Boulanger. Entretien avec celle qui rend aujourd’hui hommage à l’une des rares femmes de ce rang ayant survolé le siècle dernier.


Astrig Siranossian, chez elle à Paris, en février dernier © Photo Thomas Morel-Fort

Astrig, qu’est-ce qui vous manque le plus en ce moment?

« Ce qui me manque le plus, c’est le public ! J’ai fait quelques concerts, mais le fait qu’il n’y ait pas de public physiquement, c’est frustrant. Et ça fait maintenant très longtemps que ça dure… Alors oui, il y a la possibilité de faire des concerts en ligne, mais volontairement, je n’ai pas fait beaucoup de concerts en vidéo. Ce n’est pas parce que l’on est enfermés que l’on doit faire de la vente à emporter gratuitement. Pour ce qui est des concerts en streaming et de bonne qualité, là oui. Mais ça reste assez particulier de se dire que le moment du concert n’existe plus. »

Si la musique n’existait pas, quelle aurait pu être votre voie ?

« C’est impossible pour moi d’imaginer cela ! Ma mère travaille dans le domaine du vin, dans la Drôme, une région où l’on trouve de nombreuses spécialités culinaires. Je trouve le métier de gastronome proche de celui de musicien. Il y a ce même côté artisanal, comme de reprendre chaque jour son instrument, ou de retourner quotidiennement cueillir ses légumes. Et plus les ingrédients sont de bonne qualité, moins l’on doit fournir d’efforts pour obtenir un résultat satisfaisant. C’est pareil pour la musique : prenez un compositeur de renom ; jouer son œuvre, c’est comme de sublimer un beau poisson, même s’il y a bien sûr l’interprétation ! Les saveurs m’inspirent beaucoup. En cuisine comme en musique, on parle de textures. Les similitudes sont nombreuses. Ne parle-t-on pas de « faire un bœuf » pour parler d’une improvisation musicale collective ? Ce qui est sûr c’est que si j’avais dû choisir une autre profession, j’aurais aimé de toute façon une activité très passionnée, et qui suppose la même réflexion constante d’élévation que l’on trouve dans la musique. »

Astrig Siranossian, chez elle à Paris, en février dernier © Photo Thomas Morel-Fort

Votre dernier album, sorti en novembre dernier, s’appelle Dear Mademoiselle. Vous y rendez hommage à la compositrice et pédagogue Nadia Boulanger (1887-1979). Pourquoi avoir choisi de consacrer un album à cette figure féminine de la musique classique au siècle dernier ? 

« Dans ma vie, j’ai eu la chance de rencontrer de très grands pédagogues et j’ai toujours été consciente que le fait de côtoyer de grands pédagogues pouvait changer les choses et je suis quotidiennement reconnaissante envers ces gens-là. Pour ce qui est de Nadia Boulanger, je la connais avant tout en tant que compositrice : d’ailleurs, la bibliothèque du Conservatoire national supérieur de musique de Lyon, que j’ai fréquenté, porte son nom. Un nom qui est souvent revenu au fil de mon parcours… J’ai notamment rencontré deux de ses anciens élèves : les compositeurs Michel Legrand et Daniel Barenboim. Tous deux m’ont parlé d’elle avec une émotion vive. Et puis c’est un personnage singulier pour l’époque, imaginez : une femme compositrice, jamais mariée, sans enfants, qui dirigeait des orchestres et faisait figure de modèle en la matière…! Même à cette époque, c’était donc possible. Et j’aime bien rappeler que les choses sont possibles. »

 

Et dans ce nouvel album, Dear Mademoiselle, n’y a-t-il pas le parfum d’une autre figure féminine du XXème siècle – de la mode celle-ci – qui flotte également…?

« C’est drôle mais oui, pour la photographie de couverture de l’album, je me suis justement inspirée d’un portrait de Coco Chanel immortalisée par Man Ray. Elle aussi est bien sûr une demoiselle très marquante. Chanel et Boulanger ont d’ailleurs partagé une amitié commune en la personne du compositeur Igor Stravinsky. L’un en a fait un amant, l’autre un ami… Je trouve d’ailleurs dommage que le terme mademoiselle ait disparu de nos jours ! Voilà en tout cas deux destins qui m’ont marqué. »

On dit souvent que le violoncelle est l’instrument qui se rapproche le plus du chant… Vous chantez aussi, n’est-ce pas ? Que chantez-vous ?

« Oui, je chante. Un jour, l’un de mes professeurs m’a demandé si je chantais, il se trouvait que oui. Alors je me suis lancée… C’est toujours une expérience intéressante pour moi de chanter sur scène. J’ai toujours l’impression de rajouter une corde à mon violoncelle ! J’aime chanter et je crois que l’on peut ressentir cela comme une extension de mon violoncelle ou inversement, le violoncelle devient une extension de ma voix. »


Astrig Siranossian, chez elle à Paris, en février dernier © Photo Thomas Morel-Fort

Vous avez des origines arméniennes, vous vivez aujourd’hui à Paris. La musique est-elle affaire de langue ou de pays?

« La musique est elle-même un langage. J’ai quant à moi toujours parlé deux langues : l’arménien et le français. Et en même temps, j’ai comme l’impression que la musique est ma langue paternelle… [son père était musicien, NDLR]. Mon rapport à la musique traditionnelle et populaire est en fait le même que le rapport que j’ai avec la musique classique, c’est le rapport à la mélodie. Quand on essaie constamment de sublimer la musique, ça fait du bien de retrouver des mélodies toutes simples. Je constate que lorsque je chante des chansons arméniennes, le public est toujours touché par cette musique simple, une musique qui n’est pas cérébralisée, qui vient du cœur. »

Qu’avez-vous envie de jouer en premier lieu dès que les salles de concert rouvriront ?

« J’ai envie de rejouer de la belle musique, mais pas de la musique cérébrale ! Pour l’heure, je n’ai aucune envie d’écouter de la musique compliquée, cela provoque chez moi un rejet immédiat en ce moment… J’ai juste l’envie de partager des choses tendres et belles, de divertir, envie d’une musique qui parle de soleil ! »

Astrig Siranossian se produira cet été lors de la 16ème édition du Festival 1001 Notes en Limousin le 29 juillet 

Propos recueillis par Caroline Gaujard-Larson
Photos : Thomas Morel-Fort