Nicolas Horvath nous livre une intégrale des Nocturnes de Chopin, dont des versions inédites, corrigées et annotées par le compositeur lui-même, retrouvées sur les partitions de ses élèves.
Alors que l’on interprète toujours les dernières versions des compositeurs, le pianiste s’est souvent demandé pourquoi Chopin échappait à cette règle.
La lecture de livres de Ludwik Bronarski, Józef Turczyński, Jan Ekier, Jean-Jacques Eigeldinger et Christophe Grabowski lui ont permis d’aller à la rencontre de ces partitions inédites.
GENESE DU PROJET
La lecture en 1996 des Grands Virtuoses du Piano de Wilhelm von Lenz a été un choc pour Nicolas Horvath. Il y découvris un Chopin radicalement différent de la représentation forgée par mes nombreuses lectures. Il y avait en particulier, cette très étrange page quasi illisible des variantes autographes du Nocturne Opus 9 n°2 envoyées à la Princesse Marcelina Czartoryska.
Le pianiste l’a partagé à l’époque à Gabriel Chodos qui s’est montré très surpris lui-aussi. Chopin est connu pour être un grand perfectionniste : ses œuvres éditées (à quelques erreurs d’harmonies près) sont le reflet définitif de sa pensé musicale.
L’année suivante, la découverte de Frédéric Chopin – Conseils d’interprétation de Raoul Koczalski et de Chopin vu par ses élèves de Jean-Jacques Eigeldinger (une mine d’or !) n’ont fait que confirmer ce qu’il pressentait chez Wilhelm von Lenz : Chopin avait bien amélioré certaines de ses œuvres sur les partitions de quelques élèves !
Elzbieta Glabowna l’avait déjà mis dans le temps sur la piste : dans l’édition Paderewski et dans Chopin’s Greater Works de Jan Kleczyński, on pouvait découvrir certaines variations et Eigeldinger avait publié le Fac-similé des partitions de Jane Stirling avec les annotations manuscrites de Chopin.
En 2018, pour le remercier de ses découvertes sur Erik Satie, Robert Orledge lui permis d’obtenir une carte de chercheur à la Bibliothèque Nationale de France (BnF) : Nicolas Horvath pouvait enfin accéder aux partitions de Camille Dubois et d’Auguste Franchomme. Il découvrit alors que certaines indications de Chopin s’effaçaient et étaient quasi illisibles. Le pianiste s’est trouvé face à un autre problème : Le Nocturne Opus 9 n°2, avec ses versions nombreuses et déroutantes… Qu’en faire ?
Les commentaires de Bronarski et de Turczyński donnaient raison à ses maîtres : « Nous laissons à l’interprète le soin de déterminer si toutes ces variantes sont opportunes pour l’ensemble du Nocturne. (…) À notre avis, elles peuvent facilement donner lieu à une certaine préciosité [en français et italique dans le texte, ndlr] et surcharger l’œuvre ». Il est à noter que les éditions Paderwski avaient édité pour ce Nocturne de nombreuses variantes venant de plusieurs sources différentes.
NOCTURNE
Le mot nocturne (pièce nocturne) suggère le rêve, les rencontres amoureuses sous le couvert de l’obscurité et des scènes vues au clair de lune ou aux chandelles, loin du bruit et de la chaleur de la journée ensoleillée… Jusqu’au début du XIXe, les Nocturnes étaient composés pour plusieurs musiciens. De caractère sentimental et doux, ils étaient souvent interprétés le soir, en plein air, sur les terrasses d’un château. Toute l’Europe était sous le charme de cette nouvelle forme musicale.
Voici quelques Nocturnes notables : les Nocturnes Concertants de Louis-Emmanuel Jardin, les Nocturnes Français de Sophie Gail, les nombreux Nocturnes de Ferdinando Carulli, les Nocturnes d’Ignaz Pleyel, les Notturno de J.Haydn (Hob:25à32), de Beethoven (Op.42 ), de W.A. Mozart (KV.286), et même du Prince Louis-Ferdinand de Prusse (Op.8 – 1808) !
John Field est le premier à écrire un nocturne pour piano seul. Il s’inspire de la Romance, cette forme musicale aimable et élégante pour piano et voix qui, dans les Salons musicaux français du début du XIXè, mit en désuétude la forme Sonate (avec le clavecin, la Sonate était bien trop associée à l’Ancien Régime) et était, de fait, devenue à la mode dans tous les Salons Musicaux européens.
Field sera rapidement suivi par Maria Szymanowska, Ignacy Feliks Dobrzyński, Johann Baptist Cramer, Camille Pleyel (Nocturne à la Field de 1828) et surtout Frédéric Chopin qui trouvera dans cette forme neuve et libre un terrain idéal d’expérimentation. Un carnet intime où se côtoient contemplations et cauchemars, de ce « poète-musicien [qui se complaît] à improviser dans la pénombre dont les lueurs indécises ajoutaient un élément plus saisissant à ses pensées rêveuses, plaintes élégiaques, soupirs de la brise, sombre terreurs de la nuit ». Les Nocturnes accompagneront Chopin tout au long de sa vie.