Interview avec Catherine Catoire pour la sortie du CD de Nicolas Horvart

Interview avec Catherine Catoire pour la sortie du CD de Nicolas Horvart

vendredi 10 décembre 2021

Interview Catherine Catoire

Le 10 décembre 2021 sort le nouveau CD du label 1001 notes « The forgotten Pioneer of Minimal Music » avec Nicolas Horvath qui interprète la musique de Jean Catoire. Dans le cadre de cette sortie, et pour comprendre un peu mieux la musique de ce compositeur méconnu, nous avons interviewé la femme de Jean Catoire pour en apprendre un peu plus.

1 – Qu’est ce qui caractérise selon vous Jean Catoire ?

La simplicité apparente de sa musique alors qu’en réalité elle est très complexe.

Le fait qu’elle se développe dans un temps absolu et non relatif.

La manière de structurer sa musique qui m’a souvent fait penser à Beethoven par exemple. Mais aussi à la rigueur contrapuntique du grand J.S. Bach.

Je cite ces deux compositeurs car ce sont ceux qui ont fait le moins de concessions quant à « la musique pure » (pour citer un terme de Jean Catoire), dans l’absolu, sans égards pour le public. (Cela s’explique par la science de Bach et le caractère intransigeant de Beethoven, et on peut dire, celui de Jean Catoire).

Dans toutes ses œuvres, Bach a tendu vers l’absolu jusqu’à s’en rapprocher, comme on peut le voir aussi chez Beethoven dans le dernier mouvement de la dernière sonate pour piano (op.111) par exemple.

Mozart et d’autres sont, bien sûr, également allés dans l’absolu, oh combien ! mais ils revenaient souvent dans le relatif, ce qui permettait à l’auditeur de «retomber sur terre» après avoir été transporté dans les hauteurs.

Contrairement à tous les compositeurs classiques qui ont écrit dans le style de leur époque, Jean Catoire lui est allé, dans son écriture, directement dans l’absolu sans la moindre concession au relatif.

(c) Yannick Coupannec

 

2 – Qui était son compositeur favori ?

Mozart, sans aucun doute ! Particulièrement les symphonies de Prague et Jupiter qu’il aimait par-dessus tout.

Cependant Schumann a une place à part qui remonte à l’enfance. À 7 ans, il entendit ses parents jouer à 4 mains le premier mouvement de la première symphonie. Il dit que ce fut le plus grand retournement de sa vie car il vit alors comment le monde cosmique se développe, grandit et se concrétise en des rapports premiers non sonores.

Mais toutes les œuvres dans lesquelles il pouvait voir les rapports formels, énergétiques, dans lesquelles il pouvait remonter du sonore vers l’anté-sonore, lui étaient particulièrement proches.

De Pérotin à Moussorsky dont il disait qu’il était le «dernier véritable transcripteur de l’anté-sonore en le sonore», je pourrais vous en citer énormément.

Au passage, il avait une affection particulière pour la musique de Rachmaninoff, ses 2ème et 3ème concertos.

Par ailleurs, il dit dans ses notes avoir beaucoup appris dans La Messe pour le couronnement de Charles VI de Guillaume de Machaut.

3 – Comment se manifeste une idée musicale/sonore chez lui ? / Expliquez sa notion d’anté-sonore.

Elle se manifeste sous la forme d’un archétype ante sonore, une image, une idée, un plan… Quelque chose d’intangible, mais bien réel.

Ça pouvait être aussi une image tangible. Au sujet de son quatuor opus 428, il dit «…mouvements de 4, de 3, de 2… Il y a toute une symbolique. Quand je rentre dans les cathédrales romanes ou gothiques, c’est ça, j’ai tout fait, il suffit de savoir lire».

(c) Horvath Archives

4 – Explicitez sa première apparition de l’anté-sonore ?

Il vit pour la première fois un archétype ante sonore personnel en 1943, à l’âge de 20 ans, dans lequel demeurait le mobile de manifestations sonores ultérieures. Celui-ci s’est présenté à lui alors qu’il se trouvait devant l’église d’Auteuil, sur et au-dessus du fronton.

Mais encore devait-il savoir qu’en faire ! Il entreprit alors des études de compositions et d’analyse musicale, au conservatoire Rachmaninoff, d’abord, puis avec Olivier Messiaen.

En étudiant les œuvres des autres compositeurs, il comprit peu à peu qu’il ne devait pas s’attacher à «la lettre» mais à «l’esprit» des œuvres en question.

5 – Quelle était sa principale source d’inspiration ? Comment lui venait l’inspiration ?

Il avait toujours dans sa poche du papier pour noter un plan qui lui venait toujours de manière imprévisible et le plus souvent à l’extérieur. C’était quelque chose qu’il devait noter immédiatement avant que l’image, encore une fois, très réelle ne lui échappe.

Mais pour certaines œuvres, comme l’opus 333 pour instrument seul, le plan lui fut montré dans la Chapelle Sixtine. Pour la symphonie VIII, opus 87, c’est le temple de Poséidon à Paestum qui en fut le support.

l’Opus 312, est écrit en intervalles purs de quartes et de quintes d’après Pythagore…

Rentré à la maison, il développait une œuvre entière, sans rature, sans hésitation, à toute allure… En réalité il rejetait l’idée d’inspiration, il se considérait, non comme un créateur, mais comme un transcripteur d’un monde qui pour lui était très réel. Il disait même, en riant, je ne suis qu’un secrétaire !

6 – Quelle était sa vision de la musique classique ? (Mozart, Beethoven, Schubert …)

Selon lui, chacun de ses compositeurs avait utilisé le style en vigueur à son époque. Mais ils étaient allés plus loin, de manière plus osée, plus audacieuse dans la transcription de l’anté-sonore dans le sonore. C’est ce qui faisait leur génie.

7 – Comment voyait-il l’évolution de la musique classique dans le futur ?

Il considérait que le «style» était mort. D’où la nécessité pour lui de trouver une manière de traduire l’anté-sonore le plus directement possible dans l’absolu, sans passer par le style, toujours relatif.

8 – Quel genre d’homme était-il ? Quelle était sa routine ?

Un très grand travailleur. Toujours debout à 5 heures. À l’aube, il sortait faire un tour, prenait un café en passant, en profitait pour plaisanter avec les garçons de café. De retour à la maison, il s’installait à sa table de travail. Dès son travail quotidien terminé, tout était rangé dans des chemises, plus rien ne traînait.

La table de travail nette, absolument vide, il était alors ouvert au monde, toujours disponible et à l’écoute des autres, pour aider, pour sortir, pour aller au cinéma… Mais il ne demandait jamais rien pour lui-même. Il offrait tout sans rien exiger en retour.

Tout l’intéressait. Il était très curieux du monde. Il avait une grande culture qui était une manière de se nourrir, mais il la cachait. Par exemple, il couvrait toujours ses livres de papier kraft. Comme ça, on ne savait pas ce qu’il lisait ! Il aimait beaucoup brouiller les cartes et surprendre sans en avoir l’air. Au détour d’une conversation, il vous citait tout à coup, un vers de Michel-Ange ou de Keats, en italien ou en anglais, bien sûr, ou il évoquait un faux-ami entre le bulgare, le polonais et le russe. Car il était passionné de langues étrangères et de poésie.

9 – Avez-vous des anecdotes rigolotes ? (à propos de la composition ou autre)

On pourrait écrire un livre entier, tellement il y en a !

Il disait souvent, «je ne pardonnerai jamais à Beethoven d’avoir écrit la 6ème et la 8ème symphonie, elles ne sont pas sortables !»

Il aimait amener l’autre à réfléchir par lui-même sur ce qu’il avait à faire ou à penser, avec beaucoup d’humour.

10 – Qu’est-ce qui est important qu’on sache sur lui ? Que l’on retienne de lui ?

Sa capacité à voir les formes préexistantes dans leur absolu et sa volonté de les transcrire en restant dans l’absolu sans passer par un moule artistique.
Il disait « sans vouloir m’envoyer de fleurs, j’ai sauté du Moyen-Age directement dans le 21ème siècle…».
C’est ce qui fait son originalité. Il disait ne pas écrire de musique, mais écrire du Phénomène Sonore.

LECROHART Thomas

Cliquez ici pour écouter le cd de Jean Catoire