Dix-neuf.
Ce sont les bougies qui viennent tout juste d’être soufflées par le Festival 1001 Notes, qui s’est clôturé le samedi 20 juillet 2024 à la Patinoire olympique de Limoges, nouveau quartier général de la manifestation pour la troisième année consécutive. Ce festival, qui a commencé comme une petite entreprise familiale, a mué au fil des années en une formidable aventure humaine, associative et résolument respectueuse de son ADN originel : proposer de grands noms de la musique, mais surtout de nombreuses découvertes !
Cette année, la programmation (prolifique) sur cinq jours a permis aux amoureux de la musique classique et du « mélange des genres » de s’émerveiller devant pléthore d’artistes et de créations originales, en plein cœur de la capitale de la musique polyphonique et des troubadours. Mais quel bilan tirer de cette édition ? Quelles perspectives pour 2025, qui fera entrer le festival dans le monde adulte avec 20 années d’existence à célébrer ?
C’est avec Albin de La Tour, directeur artistique et fondateur du Festival 1001 Notes, que l’on va faire « le bilan, calmement, en se remémorant chaque instant. »
Bonjour Albin, au moment où nous réalisons cet entretien, seulement quelques jours nous séparent de la clôture de l’édition 2024 du Festival 1001 Notes. Quelles sont vos ressentis à chaud ?
Albin de La Tour : Je suis ravi de ce que nous avons réalisé cette année avec toute l’équipe du festival. Le bilan chiffré a souffert du contexte épouvantable mais humainement et artistiquement les réussites sont là. J’ai envie, premièrement, de souligner la réussite humaine de cette édition, avec une équipe de bénévoles, techniciens et artistes très heureux d’avoir partagé de la joie et du bonheur avec les festivaliers. J’ai vraiment ressenti une synergie et une complicité entre nous, malgré le rythme effréné qu’impose une semaine de festival non-stop. Nous avons atteint notre rythme de croisière en termes d’organisation, c’est très satisfaisant.
Concernant le public présent, avez-vous constaté une hausse de la fréquentation, de nouveaux visages et des fidèles ?
Albin de La Tour : Nous n’avons pas augmenté notre fréquentation comparé aux années précédentes, cependant, nous avons réussi à ce que 1001 Notes devienne un festival pluriel et particulièrement festif.
Si nous associons toutes les musiques à la musique classique, c’est pour que tous les publics viennent ; qu’une grand-mère amène son petit fils au concert de Degiheugi, qu’une petite fille amène sa tante au concert d’Anastasia Kobekina, qu’un fan d’Alcest viennent à 1001 Notes et rencontre le public classique, et ça c’est notre plus grande réussite : que tous les publics se rencontrent !
La typologie des publics, de par la diversité de leurs origines sociales, culturelles et géographiques, nous conforte dans cette idée que nous sommes plus qu’un événement musical, mais un instrument qui facilite les rencontres entre des personnes qui ne sont pas nécessairement issues du même univers et qui, grâce à nous, arrivent à partager une passion commune : l’amour de la belle musique, de la découverte, de la fête et dans la bienveillance.
Cela a toujours fait parti de notre ADN de créer des rencontres entre la musique classique et les musiques actuelles. – Albin de La Tour, directeur artistique
Pour sa troisième édition consécutive, 1001 Notes s’est produit à la patinoire olympique de Limoges. Un lieu sur lequel on ne parieraiT pas dessus de prime abord pour accueillir une manifestation musicale, pourtant il semble que ce lieu iconique soit maintenant une évidence ?
Albin de La Tour : C’était un pari audacieux et nous avons constaté cette année que nous avons enfin apprivoisé ce lieu, malgré les couacs techniques de l’an dernier. Nous avons mis un point d’honneur à travailler plus en détail la scénographie et à adapter le lieu pour proposer la meilleure acoustique possible et pour que le village soit encore plus convivial, la Ville de Limoges nous a énormément aidé pour y parvenir.
Nous sommes aussi maintenant une équipe qui se connaît et maîtrise ce lieu particulier, transformer une patinoire en une salle de spectacle à part entière, un beau challenge que nous savons bien réussir maintenant.
Ce n’était pas gagné d’avance, car nous avons été « la voiture balai » qui a ensuite permis à d’autres manifestations de se réaliser sur place, comme Lire à Limoges ou encore le Tour de France.
Lors des concerts et dans le village du festival régnait un climat de douceur, nourrit grâce à la gentillesse de tous nos bénévoles, l’arrivée de notre président Joël Frugier et de ma collègue Aurélie Goudoud ont énormément contribué à ce climat apaisant et d’amour, 1001 Notes devient peut être le Woodstock de la musique classique *rires*
Depuis 2020, le festival a pris un virage artistique déterminant en assumant une programmation qui se situe entre musique classique et musiques actuelles. Pourquoi cette evolution ?
Albin de la Tour : On a tendance à l’oublier, mais 1001 Notes a toujours laissé un espace d’expression aux musiques actuelles. Dés 2012, nous avions accueilli le pianiste déjanté Chilly Gonzales, ou encore Vincent Ségal en 2009. Cela a toujours fait partie de notre ADN de créer des rencontres entre la musique classique et les musiques actuelles.
Cependant, il est vrai que 2020 a été une année charnière, notamment avec la crise sanitaire qui nous a poussée à nous remettre en question et à assumer toujours plus cette envie de mélange des genres. Nous avons profité de cette menace planante sur la vitalité du monde du spectacle vivant pour expérimenter, essayer de nouvelles choses, être solidaires avec les artistes, pour être certes un festival, mais aussi un catalyseur de la création.
Tous ces tests, que certains pourraient appeler « prises de risques », ont été bénéfiques. Un événement qui était au final « une série de concerts à la carte » est véritablement devenu un festival depuis 2020, où je précise, nous avons été un des rares à maintenir notre programme complet.
C’est une manière pour nous de modestement contribuer à faire entrer la musique classique dans le 21ᵉ siècle : la démystifier, la rendre accessible sans la dénaturer de sa substance iconique et exigeante. Nous sommes convaincus que la musique classique est la musique émergente du XXI°s, qu’elle sera grand public et pour cela il faut qu’elle soit festive, généreuse et innovante.
Notre ambition : Que le Festival 1001 Notes soient plus alléchant que le rendez-vous barbecue entre amis […] créer un moment de pure convivialité.
Albin de La Tour
Dans le contexte inflationniste et une ambiance quelque peu moribonde suite aux actualités sociétales, n’est-il pas risqué de proposer un festival qui laisse carte blanche à la création et aux découvertes peu connues du grand public au dépens des têtes d’affiches « rassurantes » ?
Albin de La Tour : Il y a un problème d’inflation globale, c’est un fait.
Tant pour les spectateurs, qui doivent faire des choix surtout en période de vacances estivales, que pour nous en tant qu’organisateurs, qui voyons nos ressources fondre d’année en année pour des raisons économiques et politiques. Mais j’observe également une inquiétude grandissante du public, qui semble moins enclin à la découverte et à « prendre le risque » de payer une place pour une formation ou un artiste qu’ils ne connaissent pas ou peu avant d’entrer dans une salle de concert.
Est-ce à cause d’une programmation musicale à échelle mondiale de plus en plus homogénéisée avec des stars « bankable », aux grands médias qui ne font plus leur boulot de faire découvrir la musique de qualité, ou est-ce par souci de temps/argent… L’œuf ou la poule ?
Il est clair que l’émergence séduit de moins en moins, sans parler du fait que la musique classique est trop peu représentée dans les grands médias et peine ainsi à tirer son épingle du jeu auprès du grand public, mais en Limousin, nous sommes une terre de résistants.
C’est pour cela que le Festival 1001 Notes existe : créer une porte d’entrée, susciter de la curiosité vers cette musique riche et variée. C’est un travail de longue haleine, mais nous y arrivons bien depuis dix-neuf ans maintenant *rires*
la Culture a une valeur inestimable, elle est une passerelle pour rapprocher les gens.
Albin de La Tour
Cinq jours de festivités et plus d’une vingtaine de représentations et temps-forts pour cette édition, avec une moyenne de trois concerts par soir. Est-ce une formule qui sera renouvelée dans les années à venir ?
Albin de La Tour : Comme je le disais précédemment, le Festival 1001 Notes est un laboratoire où l’on teste chaque année de nouvelles choses, cela vaut aussi pour le planning des concerts. Malgré le fait que cette formule a permis de créer un riche métissage et de laisser place à beaucoup de projets artistiques en créations originales chez nous, il faut tout de même retravailler cette grille.
Nous nous sommes rendus compte que cela imposait une cadence titanesque pour les équipes artistiques et techniques. Le public découvre les concerts, mais c’est toute une horlogerie suisse en amont qui se met en place. Répétitions, changement de décors, filages, installation du matériel… La création demande du temps et des moyens, ce dont nous disposons peu, donc pour le futur nous ferons un peu moins de choses, mais en beaucoup mieux. On ne lésinera jamais sur la qualité, nous nous y engageons.
Quel serait l’artiste idéal que vous souhaiteriez accueillir à 1001 Notes ?
Albin de La Tour : Je dirais un ou une artiste qui n’est pas de formation classique qui « fusionnerait » avec l’orchestre de 1001 Notes et qui lors du concert ferait danser, rire et pourquoi pas pleurer le public !
Pensez-vous déjà à l’année prochaine, 20 ans ça se fête ?
Albin de La Tour : 20 ans, c’est l’âge de la maturité pour le festival. Comme je le disais précédemment, nous commençons maintenant à récolter les fruits de nos tests et optimisations de l’expérience 1001 Notes. Il faut maintenir un cap, et c’est grâce au format que l’on a su consolider aujourd’hui. On gardera tout de même notre appétence pour l’expérimentation et la curiosité afin de continuer à partager notre passion, c’est indispensable.
En 2024, notre public de base a surement souffert du syndrome de la Brebis égarée, en 2025 nous inviterons les artistes qui ont marqué les années précédentes avec forcement des belles surprises que nous savons vous concocter !!!
Nous avons tendance, en tant que citoyens, à de plus en plus nous enfermer dans nos carcans, à se méfier des autres, être réticents à la nouveauté. Nous travaillons dès maintenant pour que le festival permette de laisser de côté nos craintes et angoisses pour s’évader et se rencontrer. Cette édition 2025, sera donc particulièrement festive, fédératrice, 20 ans quel bel âge !!!
Pour conclure, quels ont été vos souvenirs marquants pour ces 19 ans ?
Albin de La Tour : Je ne suis pas nostalgique, je suis toujours tourné vers demain, mais ces semaines de préparation intenses en amont de l’ouverture des portes ont été magnifiques.
Nous avons vécu une épreuve de sprint et de marathon en même temps, avec un contexte que vous connaissez, afin d’assurer une qualité d’accueil maximale. Je suis ravi d’avoir partagé ces moments stressants, mais aussi d’aboutissement avec les équipes et 1001 merci à eux.
Je vois tout le chemin parcouru depuis 19 ans, quand nous étions un collectif dont le nombre tenait dans une main et aujourd’hui quelle richesse de faire partie et faire grandir une si belle équipe de bénévoles, de techniciens, de salariés, de partenaires, d’artistes … le collectif !
Mais tout de même, quand la Harley Davidson est arrivée dans l’enceinte de la patinoire, quel frisson, et bien sur lorsque l’Orchestre 1001 Notes a exécuté ses premières notes lors des répétitions.
À l’année prochaine pour nos 20 ans et la fête continuera lors des concerts de la saison 24-25, 1001 must go on !
Voir plus :
→ Voir les photos du Festival
→ Voir les Interviews des artistes
→ Voir les vidéos du Festival
→ Ecouter playlist du Festival