MON EXPLORATION DE LA MUSIQUE DE JEAN CATOIRE (PAR NICOLAS HORVATH)

MON EXPLORATION DE LA MUSIQUE DE JEAN CATOIRE (PAR NICOLAS HORVATH)

lundi 16 janvier 2023

Découvrez l’intégrale des oeuvres pour piano de Jean Catoire interprétées par Nicolas Horvath, en huit volumes.

J’ai découvert la musique de Jean Catoire grâce à mon ami, le compositeur français Frederick Martin. Fred a étudié la direction d’orchestre avec Jean Catoire, , et connaissant mon intérêt et mes recherches sur des musiques inconnues ou oubliées, Fred était certain que j’allais l’adorer. Ho, comme tu avais raison mon cher Fred !

Il m’a transmis le seul contact restant : Catherine Catoire, la seconde épouse de Jean, qui fait tout son possible pour faire connaître la musique de son marie. Elle m’a invité à prendre le thé et m’a fait découvrir la grande histoire de la vie de Jean. Elle était aussi très intéressée de connaître la mienne
et comment j’avais connu la musique de Jean. Après une belle conversation, je me souviens encore qu’elle apporta une énorme pile (40 cm de haut !) de manuscrits. Toutes les œuvres pour piano solo !!! J’ai lu avec délectation une musique qui était un savant mélange de Morton Feldman & Arvo Pärt, à mille lieues de ce que les français pouvaient composer !

Mais ma plus grande surprise est venue à la lecture des années de composition : la plupart ont été écrites dans les années 70 ! Et cerise sur le gâteau, il y avait plus de 30 heures de musique !!!Comment un tel trésor avait pu être négligé !!!
Pendant des années, j’ai joué la musique de Jean dans de nombreuses villes telles que Kiev, Minsk ainsi que le Festival La Folle Journée de Nantes.
Le public a toujours été hypnotisé par cette musique étrange et j’avais promis à Catherine qu’un jour j’enregistrerai toute sa musique. Cependant, réaliser un tel projet demande de très grandes ressources et je n’ai pu le faire que très récemment.

L’enregistrement a commencé juste après l’enregistrement de la partie piano de ma collaboration avec Lustmord. Un premier essai d’enregistrement n’a pas été bon, « seulement » 3 sonates avaient été enregistrées, et supprimées. Il n’était pas si simple de trouver les conditions idéales pour une telle entreprise et, surtout, d’avoir le bon processus d’enregistrement qui me permettait de ne pas me perdre pendant le montage. Après ce premier essai, j’ai totalement réorganisé l’ordre des sonates que j’allais enregistrer, en commençant par les plus longues, avec de temps en temps une courte et parfois une sonate de la première période.

Trouver la bonne vitesse d’exécution (le bon tempo) était également très difficile. Mon idée première était de les jouer avec les tempi les plus lents, demandés par le compositeur. (sur certaines sonates, l’interprète a différents choix), mais pour certaines sonates ce n’était (je pense) pas les solutions
les plus judicieuses car le son des cordes du piano allait disparaître entre chaque note et cela rendrait cette musique si particulière, quasi incompréhensible pour les auditeurs qui découvriront cette musique.Il y avait aussi le problème de la partition : la plupart des sonates sont encore manuscrites.

Une fois que j’avais résolu tous ces problèmes, je commençais la deuxième (et ultime) tentative d’enregistrement. L’enregistrement de toutes les sonates a duré plus de 100 heures. Je ne me souviens pas exactement du nombre de jours ou de semaines qu’il était nécessaire pour tout enregistrer. En revanche, je me souviens d’enregistrer jours et nuits. Progressivement, les notes dansaient et toute cette musique devenait pour moi très évidente. Aussi, tout comme Fred m’en avait parlé il y a de nombreuses années, je commençais à voir littéralement ces arches gigantesques effectuant
leurs lentes et perpétuelles révolutions. Je n’étais plus seul devant mon grand Steinway de concert, mais au centre du cosmos, d’où je pouvais contempler la course lente des étoiles. Le temps semblait s’être figé, je me suis retrouvé nez à nez avec une architecture intemporelle. Cette chose évidente qui préexistait avant l’harmonie elle-même, comme toutes ces formes géométriques de la nature (l’architecture de la nature) avant l’architecture humaine.
Contrairement aux Vexations de Satie, la musique de Jean Catoire porte en elle la trace de l’ évidence.

L’expérience de la transe à travers les Vexations de Satie est totalement différente de celle de Catoire. Cette dernière est beaucoup plus « abordable ».
Avec les Vexations, la transe survient après de longs moments d’ennui et de frustration (ce ne sont pas des Vexations pour rien!). L’auditeur doit lâcher prise. Avec la musique de Catoire, l’expérience de transe arrive bien plus naturellement, sans aucun effort apparent d’expérimenter (pour le plaisir d’expérimenter), aucun artifice et aucune fausse posture d’avant-garde. J’ai eu l’impression de revivre ces
moments de méditation en pleine nature devant des herbes carrossées par le vent. La beauté évidente et pourtant imperceptible de la nature.

Au moment où j’écris ces lignes, j’ai toujours le projet de jouer l’intégralité de la musique de Catoire en un unique concert fleuve, car, comme cet enregistrement, ce concert pourrait faire partie de ces concerts qui changerait la vie à la fois de l’interprète et du public.

Nicolas Horvath 

Jean Catoire vous intéresse ? Lisez notre article sur La Tonalité chez Jean Catoire

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