Mettre en regard Debussy et Beethoven, comme Bach et Rachmaninov (dans mon précédent disque), c’est souligner ce qui les unit : une volonté farouche d’élargir les possibles de la musique et, par là, ceux du piano. Tous deux utilisent l’instrument comme un laboratoire sonore, au service d’une liberté créatrice radicale.
Debussy et Beethoven composent dans des contextes très différents. Chez Debussy, le timbre devient matière première, terrain d’exploration sensorielle. Il parle d’impressions, de sensations. Beethoven, lui, s’adresse à la raison, à la pensée, il compose à la première personne. Debussy s’efface derrière l’émotion, Beethoven affirme une volonté.
Dans Images ou Épigraphes antiques, Debussy propose un univers sonore ouvert, subtil, multiple. L’interprète y devient architecte des atmosphères, sculpteur de timbres. Sa musique, tissée d’intuitions, de rêveries, est une jouissance de l’instant. Comme Chopin ou Liszt avant lui, il a bouleversé le langage pianistique.
Beethoven, lui, pousse la musique vers l’abstraction. Dans sa dernière sonate, il compose au-delà du sonore, affranchi par la surdité des conventions du réel. Sa musique devient pensée, philosophie, nécessité intérieure. Elle exige de l’interprète une force presque inhumaine, une élévation, un cri porté vers l’universel. Beethoven cherche à éveiller, à unir.
Debussy explore l’imprévu, Beethoven affirme une transcendance. Tous deux ont voulu que leur œuvre dépasse la musique elle-même. Leur exigence, leur vision, appellent à être défendues sur scène, partout, dans les grandes salles comme sur les places de village. Clamer que la musique sauve, qu’elle rassemble, voilà ce qui me fait les jouer.
Guilhem Fabre